Nadine au Congo, Marine au cirque : impressions de l’hémicycle du Parlement européen
par Sylvie Goulard (MoDem),
Députée européenne, élue Sud-Est.
Groupe ADLE. Commissions ECON et AFCO.
Présidente de l’Intergroupe de lutte contre la pauvreté.
À Strasbourg, j’ai eu mal à la France et à l’Europe. En quelques jours, deux femmes politiques françaises, deux députées européennes, ont sali notre pays.
Dans les deux cas, la dérive est similaire. Sous couvert d’attachement à « la France » éternelle et abstraite, ce sont des paroles de division et de haine contraires à la tradition nationale, à courte vue, qui ont été proférées : par Nadine Morano, contre ceux qui n’auraient pas le teint assez clair à son goût, par Marine Le Pen, contre le Président de la République et la Chancelière allemande.
L’attaque contre le chef de l’État français renvoie les discours patriotiques du Front national à ce qu’ils sont : un attrape-nigaud, pour ne pas dire une escroquerie. Les vrais patriotes sont attachés à leur pays. Ils ne crachent pas à la figure du Président de la République, clé de voûte des institutions, garant de l’unité nationale. Les vrais patriotes ne dénigrent pas non plus le chef de gouvernement d’une démocratie partenaire de la France. La fanfaronnade devient insupportable : aucun État ne peut vivre en autarcie, sans nouer de relations avec des partenaires internationaux. Notre sécurité, nos emplois, la défense de nos valeurs en dépendent. Portée à ce degré, l’agressivité n’est qu’une forme d’amateurisme.
Quant à l’apologie de la pureté de la race blanche, elle est bien éloignée de la conception de la nation inscrite dans la constitution de 1958.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Pour de multiples raisons qu’il est impossible d’analyser brièvement. Mais l’une tient assurément au refus de voir que l’action politique ne dépend plus seulement du niveau national. Les évolutions technologiques, la montée des interdépendances, comme le montrent les problèmes migratoires ou climatiques, invitent à changer d’échelle, à créer une démocratie européenne susceptible de contribuer à une meilleure gouvernance mondiale. En refusant de l’admettre, en mettant en permanence un édredon prudent sur toute ambition européenne, les dirigeants modérés tuent l’idéal qu’ils prétendent entretenir. A cet égard, les discours de François Hollande et Angela Merkel n’ont pas manqué à la règle : l’orientation était juste mais le souffle manquait, et un calendrier précis. Le moteur franco-allemand est bridé. Il est illusoire de laisser entendre que l’union des Européens serait à portée de mains sans déranger nos habitudes ni procéder à une refondation de grande ampleur. Quand le Président n’a plus lu son discours aseptisé mais a répondu fermement aux eurosceptiques, il a enfin trouvé le ton juste.
Les hésitations entretiennent le vide propice aux démagogues. Elles encouragent les médias à traiter l’information sur un mode plus anecdotique que substantiel. Quand on compare le débat dans l’hémicycle et le compte-rendu qui en a été fait dans la presse écrite ou sur le fil de certaines radios, le problème saute aux yeux. Il y a une impasse, un blanc entre la fin du discours d’Angela Merkel et celui de Mme Le Pen. Les rédactions parisiennes n’ont pas cru devoir accorder le moindre intérêt aux sept orateurs (7 !), de tendances politiques et d’origines différentes, qui ont successivement répondu au Président et à la Chancelière. Conservateurs, socialistes, libéraux, verts et autres représentent pourtant l’immense majorité des 500 millions de citoyens européens ! La place donnée à Marine Le Pen et ses éructations n’a rien à voir avec la réalité. Après Nadine au Congo, on nous a fait voir Marine au cirque (clown et gladiateur à la fois).
Une fascination collective pour la provocation, l’inculture et la mauvaise éducation, est en train de saisir les Français, au détriment des sujets de fond. La blondeur cache la violence, la haine et, à terme, le déclassement de notre pays. Je me demande avec effroi ce que Mme Merkel a pensé du spectacle que ces femmes françaises ont donné à toute l’Europe.